vendredi 15 avril 2011

Chic, voilà la terre battue

  Photo ATP
Ca paraît tout bête la terre battue, çà ressemble à du simple sable rouge où l'on peut salir ses chaussettes et ses fonds de shorts sans se faire gronder en rentrant à la maison, çà donne même envie de s'y rouler, en cas de victoire. Et pourtant c'est loin d'être une chose simple, c'est même un bijou de technologie.
Certains amateurs de tennis la détestent, d'autres l'adorent, à cause du spectacle plus ou moins excitant qu'elle engendre. Elle a ses spécialistes et ses détracteurs, ses artistes de la glisse et ses prodiges du rebond, ses cracks du contrepied et ses virtuoses de l'amortie à effet rétro.
 

Soumise aux impératifs de la météo, lourde ou légère selon l'humidité ambiante, un peu capricieuse, toujours exigeante, cette surface très personnelle nécessite des soins constants et peut entièrement changer l'issue d'un match, parce qu'elle le décide ainsi. Elle aime les athlètes résistants, mais les aime en prenant soin de leurs articulations, au point d'être cataloguée "surface de confort" par la FFT. C'est aussi la seule surface à "s'exprimer" au point de garder une trace précise des balles, et mettre en échec un imparable hawk-eye. Sa profonde couleur colle à la peau, évoquant le sang et la sueur, synonyme d'aventure, de fureur et de passion.

Alors au risque d'ennuyer tous ceux que la technique ne fait pas rêver pas, je vous propose un regard dans les profondeurs de ce terrain, que nous allons côtoyer jusqu'à l'été - dans le seul souhait que cette matière, contrairement aux sols durs ou synthétiques aux noms barbares (Rebound Ace, Plexicushion, Decoturf ou autres Taraflex en dalles), apparaisse comme ce qu'elle est, une chose vivante et belle, qui évolue au fil d'une saison, dans une fusion intime et vibrante avec le joueur et son matériel.

La terre battue est essentiellement composée de 4 couches successives :
1) Tout en-dessous, dans les profondeurs du sol, un empierrage et des tuyaux de drainage
2) Par-dessus, une couche de mâchefer (charbon pilé) de 3cm d'épaisseur, à granulométrie variable, qui permet de stocker l'eau d'arrosage, et de la restituer vers le haut.
3) Puis le coeur véritable, une couche de calcaire spécifique, de 5 à 6 cm d'épaisseur, de granulométrie très fine, appelée "craon". Cette couche est stabilisée au rouleau de 100 kg, puis au rouleau de 500 kg. C'est la terre battue, et elle est blanchâtre. Elle laisse passer l'eau dans les deux sens.
4) Tout au-dessus enfin, le craon est recouvert d'une couche de brique pilée rouge d'un cm d'épaisseur, qui sert à glisser et à avoir un bon contraste de couleur avec les balles, tout en évitant une réverbération qui serait aveuglante sur le calcaire.
Cette brique pilée est appelée "rougisol", et n'a rien à voir avec le terme "terre battue".


L'ensemble doit être arrosé abondamment tous les soirs ou tous les matins. La terre battue classique est gélive (éclate sous l'effet du gel) et, dans les régions de gelée, doit être refaite tous les ans. Seuls les stades dédiés à de grands tournois sont équipés de bâches, ce qui n'est pas le cas pour la majorité des clubs.
Elle peut cependant être extrêmement résistante, puisque celle de Roland Garros, construite en 1928, ne fut refaite qu'en 1988 !


Pour les petits curieux de la technique, les méthodes de fabrication de la Sté TTB, expert en construction de terrains de tennis en terre battue, m'ont laissée bouche bée d'admiration. Lisez plutôt :

« Nous pouvons construire ou transformer un court de tennis à partir d’un terrain vague, d’un terrain en dur (poreux, quick, green set…), d’un terrain en sotomanto, d’un terrain en craon, d’un terrain synthétique, d’un "soft" tennis ou d’un terrain en terre granitique etc…
Ainsi, il est parfois nécessaire d’évacuer l’ancien matériau entièrement (Tennis Club de Grasse : environ 100 tonnes de sotomanto évacuées par court), et d’autres fois nous pouvons nous "appuyer" sur le court existant (Tennis Club de Cap d’Ail à partir du "soft" tennis et Sophia Country Club à partir de terre granitique). Quelle que soit la conception de départ, nous créons ou nous vérifions précisément à l’aide de jumelles de géomètre les pentes nécessaires à l’évacuation des eaux pluviales.

Ensuite, après avoir crée ou vérifié la plate-forme de départ, nous créons ou nivelons le filtre entièrement à la main, mètre carré après mètre carré, toujours en respectant les niveaux.
Puis, nous appliquons - toujours uniquement à la main, toujours mètre carré après mètre carré - la chape en quantité parfaitement régulière sur toute la surface du court, avec le matériau choisi adapté à votre climat.
Nous procédons par la suite au blocage de la chape avec un rouleau mécanique très léger et suivant une procédure très précise.
Nous terminons le court avec la mise en place d’un tracé, que nous préconisons en nylon tressé, maintenu par environ 6000 clous galvanisés (cloués un par un au petit marteau !) et l’épandage de la brique pilée selon notre rituel traditionnel.

Pour toutes ces opérations de fabrication, JAMAIS nous n’utilisons d’engin lourd (environ 1 tonne) pouvant détériorer les sous-couches, diminuer le drainage ou altérer la future tenue du court. »
 Je trouve une certaine tendresse à ce descriptif, la même tendresse que peut avoir un artisan pour son oeuvre, un menuisier pour son meuble ou un sculpteur pour sa statue. On peut rire d'un tel sentimentalisme, mais c'est vrai, c'est unique la terre battue, c'est l'essence même du tennis.
Cà commence maintenant, à Monte Carlo... et c'est sacrément beau.



JoL
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